Ce que je pense est que la province est une entité territoriale qui constitue la base réelle du développement économique d’un pays. Au niveau politique, la province dispose d’une assemblée provinciale composée de députés élus au suffrage direct dans les différents territoires, et d’un gouvernement composé de ministres en charge des différents secteurs d’activité économique. L’assemblée provinciale est dirigée par un président, député élu par ses pairs de la province. Le gouvernement provincial est dirigé par un gouverneur élu aussi par les députés provinciaux. Alors que le gouverneur peut ne pas être un député, le président de l’assemblée provinciale, quant à lui, est absolument un élu de la province. Les ministres et autres cadres territoriaux sont nommés par le gouverneur qui tient compte de l’espace géopolitique, du poids de partis politiques dans la province et du plan de carrière de l’administration publique. Au niveau administratif, la province dispose de tous les démembrements territoriaux et administratifs allant du ministère à la direction, au service, à la division et au bureau, de manière à permettre la gestion hiérarchique équilibrée de tous les secteurs et entités de la province. En un mot, une province ressemble, mutatis mutandis, à un pays tout entier à la seule différence qu’elle est dirigée par un gouverneur en lieu et place d’un président de la république. Voilà pourquoi le développement des provinces conditionne celui du pays qui n’est en définitive que la représentation unifiée d’entités socio-économiques et politiques provinciales.
Ce que je pense est que le développement économique d’une province n’est possible que si l’assemblée et le gouvernement provinciaux fonctionnent en parfaite synergie. Le gouvernement provincial doit élaborer un programme économique et social capable de garantir le progrès socio-économique de tous les territoires, mieux, de l’ensemble de la province. Ce programme doit tenir compte du potentiel de ressources et de spécificités de la province, de son interconnexion avec les provinces voisines, tout comme il doit rester en harmonie avec le programme économique du gouvernement national. En effet, il y a de compétences socio-économiques qui reviennent exclusivement au pouvoir central, telles l’armée, la sécurité, les affaires étrangères etc…Par ailleurs, le gouvernement central doit veiller à la cohérence de l’ensemble des programmes économiques provinciaux pour préserver un développement équilibré de l’ensemble du pays. Ce qui justifie l’existence au niveau national d’une institution, la Caisse de péréquation. Par ailleurs, le budget provincial doit être tiré du programme économique provincial et en représenter une tranche annuelle de sa mise en œuvre. L’assemblée provinciale, en ce qui la concerne, doit édicter des édits devant garantir un fonctionnement efficace du gouvernement. En outre, elle doit en aval, assurer un contrôle efficace de la mise en œuvre du programme économique provincial, lequel aura été approuvé au préalable par elle.
Ce que je pense est que le choix et la désignation des dirigeants de l’assemblée provinciale et du gouvernement de la province constituent de décisions capitales devant entrainer, soit le développement, soit le sous-développement de la province. En effet, au regard des rôles clés que sont appelés à jouer l’un et l’autre dans la sphère provinciale, les atouts de leadership et de management demeurent cruciaux pour la réussite du programme économique. Voilà pourquoi le gouverneur de province, considéré comme chef du gouvernement provincial, doit être compétent, c’est-à-dire, disposer d’une base de connaissances intellectuelles solide et d’une expérience avérée dans la gestion. Le président de l’assemblée provinciale, en ce qui le concerne, doit être un homme politiquement rodé et capable de garantir la stabilité et l’efficacité du gouvernement provincial. Il devra veiller à l’équilibre stratégique, et parfois fragile, entre les intérêts des forces politiques en présence au sein de l’assemblée et les objectifs socio-économiques de la province devant être réalisés par le gouvernement provincial. Le binôme « président de l’assemblée provinciale » (avec tous les députés) et « gouverneur de province » (avec tous les ministres), constituent donc le nœud gordien de la problématique de la réussite du découpage territorial.
Ce que je pense est que le découpage territorial initié en 2013 est en train d’échouer lamentablement. Non pas parce que la réforme initiée est mauvaise, mais tout simplement parce que sa mise en œuvre est calamiteuse. En effet, rarement les conditions permissives à son succès ont été réunies. Dans la plupart de cas, les gouverneurs de province ainsi que leurs ministres ne répondent pas aux critères d’efficacité. Certains d’entre eux n’ont pas le niveau d’études requis pour occuper la fonction. On voit parfois des commerçants, des sportifs, des musiciens, de débrouillards, et autres coursiers, tous limités intellectuellement et sans expérience dans la gestion, devenir des gouverneurs. Certains d’entre eux, bien qu’originaires de la province, n’y ont jamais vécu. Ils y arrivent pour la première fois juste pour occuper la fonction. La plupart de gouverneurs n’amènent pas leurs familles en province. Celles-ci sont, soit à Kinshasa, soit à l’étranger. Le chef-lieu de la province n’est qu’un lieu de travail occasionnel et non une ville d’accueil et de vie permanente. Aussi tôt la charge terminée, le gouverneur rentre chez lui, abandonnant ses concitoyens de la province. Par ailleurs, dans la plupart des cas, le gouverneur de province ne bénéficie pas de l’appui de l’assemblée provinciale dont l’objectif est malheureusement souvent politique que socio-économique. Le président de l’assemblée et ses collègues députés reprochent souvent au gouverneur de ne pas bien s’occuper des élus du peuple. Ces derniers se préoccupent plus de leurs situations individuelles que de celle de la population. Il s’en suit des motions de toute nature pour faire partir le gouverneur. L’instabilité de gouverneurs est principalement justifiée par cette guéguerre perpétuelle entre les chefs de l’exécutif provinciaux et les députés provinciaux pour des intérêts plutôt financiers que de développement. La Conséquence est connue : près de 16 gouverneurs sur 26 ont été déchus de leurs fonctions depuis le début de cette législature. Cette instabilité a été la même au cours de la magistrature passée.
Ce que je pense est que l’échec du découpage n’est nullement lié à la question des originaires et non originaires de provinces. Les meilleurs gouverneurs de province devraient être des originaires, comme on le voit dans les grandes démocraties, aux Etats-Unis, en France ou en Grande Bretagne. Nous n’avons pas à inventer la roue dans ce domaine. Il en est de même des maires ou bourgmestres des villes ou des cités. Cela procède de la logique la plus simple : la personne la plus liée à un milieu qu’elle connait mieux est en mesure d’offrir le meilleur d’elle-même qu’une autre. Ce serait une erreur monumentale de vouloir revenir au principe de gouverneurs non originaires. Mais, il faut que le gouverneur originaire soit compétent et expérimenté pour faire le travail ! Que son gouvernement soit composé de ministres à la hauteur de leurs tâches, et que son administration dispose des cadres valables au service de la province ! Que son gouvernement reçoive régulièrement les rétrocessions du gouvernement central. Que son objectif principal soit celui de servir le peuple et non pas de se servir ou de servir les mentors politiques qui l’ont porté à la fonction, comme c’est le cas le plus souvent. Et qu’il bénéficie de l’appui de l’assemblée provinciale, et principalement de son président, dont il a besoin pour matérialiser son programme. Ce dernier devra faciliter l’adoption par l’assemblée provinciale de réformes nécessaires à l’implémentation du programme et budget provinciaux. Cette entité législative provinciale doit veiller à la mise en œuvre d’un leadership et d’une gouvernance de qualité, lesquelles conditionnent la réussite du programme économique provincial.
Ce que je pense est que les opérateurs politiques ainsi que leurs regroupements doivent cesser de s’ingérer dans la désignation de gouverneurs de province dans le but de satisfaire leurs propres intérêts financiers et politiques en lieu et place de ceux socio-économiques de la province. Actuellement, plusieurs candidats proposés par les regroupements politiques sont contestés par la population de provinces. Des candidats médiocres, de surcroît non acceptés par la population, ne peuvent jamais, une fois nommés, produire de miracles. Par ailleurs, le gouvernement central devra cesser de violer continuellement la constitution et les lois du pays en s’immisçant de manière flagrante dans la gestion des organes provinciaux : certains gouverneurs sous motion de déchéance, souvent pour mauvaise gouvernance, sont rappelés à Kinshasa pour être protégés, d’autres déchus sont réinstallés juridiquement de force contre le gré de la population, tout comme certaines assemblées provinciales sont illégalement interdites de siéger pour décider du sort des gouverneurs impliqués dans la mauvaise gouvernance. En effet, on ne peut pas à la fois se lamenter de l’instabilité de gouverneurs et en même temps ne pas doter ceux-ci de moyens financiers requis pour le fonctionnement de leurs provinces. Il y a de provinces qui ont jusqu’à 10 mois d’impaiements de rétrocessions. On ne peut pas regretter le sous-développement des provinces, et par conséquent du pays, et au même moment se décider de nommer et protéger les médiocres d’entre les citoyens comme gouverneurs, essentiellement pour des objectifs électoralistes. C’est tout simplement chercher une chose et son contraire. En ce qui concerne les gouverneurs méritants, une fois nommés, ils doivent se mettre au travail pour l’intérêt de la population. Le Président de l’Assemblée provinciale ainsi que les députés provinciaux devront privilégier les intérêts de la majorité et appuyer le programme économique provincial.
Une Tribune de Matata Ponyo MAPON