
Les populations riveraines du lac Tanganyika sont sous le choc. Le lac qui monte de niveau plus que d’habitude darde ses langues les plus enflammées. À son passage, des infrastructures socio de base (écoles, hôpitaux, stades…) maisons d’habitation, commerces détruits par cette avancée des eaux vers la terre ferme ; une situation qui menace même le boulevard Lumumba de Kalemie à la hauteur du Quartier Général de la MONUSCO, l’avenue Kalemie construite sur financement du projet de développement urbain soutenu par la Banque Africaine de développement ; du jamais vu au cours de ces cinquante dernières années.
La province du Sud-Kivu n’est pas épargnée. Les territoires d’Uvira et Fizi sont sous la menace constante des inondations dues à la montée des eaux du lac Tanganyika qui s’attaque aux infrastructures socioéconomiques dans certains quartiers de la ville d’Uvira à savoir Kalundu, Kilibula, Kimanga, Rombe1, Kasenga, Kavimvira et Kilomoni ; les plus touchés par les inondations des eaux du lac. Des ménages sont exposés aux maladies.
L’on rapporte plus de 700 maisons détruites et des nombreux champs inondés.
Pour notre gouverne, le Tanganyika est le plus ancien, le plus grand et le plus profond lac du grand Rift est africain. Il existe sous différentes formes depuis environ 20 millions d’années durant lesquelles son niveau a varié considérablement. Il est parfois tombé à moins de 600 m, ce qui a entraîné la formation de trois lacs séparés, correspondant aux trois sous-bassins reconnus aujourd’hui. Le lac mesure 650 km de long et 50 km de large en moyenne. Son volume d’eau est de 18 880 km3 , ce qui en fait la seconde réserve d’eau douce au monde, après le lac Baïkal. Sa profondeur maximale est de 1470 m. Le littoral composé d’une mosaïque d’habitats différents, comme des côtes rocheuses, des plages de galets ou de sable, mesure environ 2000 km. L’eau oxygénée est présente jusqu’à environ 70 m de profondeur dans le nord du lac et 200 m dans le sud. Le grand âge du lac et la présence de différents types d’habitat combinés à la présence d’eau oxygénée en grande profondeur ont fait du lac Tanganyika un important centre d’évolution et de spéciation. La faune du lac est caractérisée par une énorme diversité.(cfr Tanganyika, Espace fécondé par le lac et le rail)
Comment comprendre ces inondations ?
Beaucoup de réponses à la fois. Le dérèglement climatique avec ses effets néfastes sur l’environnement, la tripatouille dans le fonctionnement des secteurs de l’urbanisme, de l’habitat, de l’environnement aggravé par l’absence d’une loi encadrant le secteur de l’aménagement du territoire depuis l’indépendance ont vu émerger le phénomène d’attribution désordonnée des terres aux habitants ayant construit même dans les zones de non aedificandi avec à la base le gangstérisme des agents du cadastre qui ont agi sans tenir compte des plans cadastraux, la destruction de l’environnement autour du lac Tanganyika et des cours d’eau ;phénomène qui a vu les habitants dans une certaine inconscience emporter moellons pour construire les différentes bâtisses qui ont révolutionné les infrastructures urbaines des villes de Kalemie ,Moba et Uvira , détruisant arbres, arbrisseaux, zones de frayères .
Cet imbroglio total n’a pas eu de conséquences assez grave au cours de ces quinze dernières années pendant lesquelles des signes annonciateurs du désastre ont commencé à apparaitre .
Le Tanganyika, deuxième plus grand lac d’Afrique déborde à cause des pluies diluviennes qui s’abattent ces derniers temps. La montée de ses eaux est liée au phénomène climatique El Nino qui engendre d’énormes dégâts.
Elle s’est aggravée à partir des années 2014 quand le lac a commencé à engloutir petit à petit des espaces importants des terres sous le regard impuissant du pouvoir public à l’instar du mythique Stade Sendwe construit en 1958.
La situation actuelle ressemble à celle de 1964, année au cours de laquelle les crues ont atteint la 7eme avenue du quartier Buyenzi en mairie de Bujumbura au Burundi, voisin de la province du Sud-Kivu.
Selon les prévisions météorologiques recueillies coté burundais, les précipitations vont continuer jusqu’à la mi-mai. Et avec une nappe phréatique saturée, le coefficient de ruissellement réduit, les crues vont continuer à se déverser rapportent₋elles .Nous devrions donc nous préparer au pire.
Par ailleurs, le chao a été semé avec la montée des eaux de 1998 suivie juste après d’une sècheresse sans précèdent qui a fait reculer le lac de plus de cent mètres. Ce phénomène dû au réchauffement climatique a endormi les services de l’Etat et les habitants qui ont acheté des terrains même dans le lit du lac, détruisant au passage toute la zone de protection côtière.
A titre illustratif, le livre de François Misser paru en 2013 cité par Désiré Kisonga Kasyulwe, Guillaume Léonard, Mathieu Zana ,Edwine Simons, Joris Krawczyk et Mohamed Laghmouch dans l’ouvrage ″Tanganyika, Espace fécondé par le lac et le rail‶ fait ainsi état de ce que : « La baisse des eaux affecte également le plus grand réservoir d’eau douce du […] lac Tanganyika […]. Selon Hudson H. Nkotagu, coordinateur national du Programme du lac Tanganyika de l’Autorité du lac Tanganyika, un déclin de 0,8 mètre a été constaté au cours des dix dernières années aux ports de Bujumbura (Burundi) et de Kigoma (Tanzanie). […] [Pour éviter la répétition de catastrophes, telles que l’inondation qui atteignit les ports en 1964 et afin de réguler les eaux du lac] on décida [la même année] de dynamiter une digue sur la Lukuga […]. Malgré tout, le niveau a encore monté en 1998 […] Mais depuis le début de ce millénaire, le niveau n’a plus cessé de baisser. En novembre 2005, à certains endroits, le lac avait reculé de plus de 100 m. […] Le verdict final ne fait guère de doute : le lac s’est rétréci. […] Pour Hudson Nkotagu, ce phénomène est lié au réchauffement de la température des eaux du lac, constaté en 2010 par une équipe du Département des sciences de la terre de l’Université d’Arizona […] Selon le coordonnateur de ces travaux […] il n’y a pas de doute que ce phénomène est le résultat du réchauffement climatique provoqué par l’homme » (Misser 2013 : 169-170).
Face à cette crise, l’entrée en danse de la loi sur l’aménagement du territoire adoptée par le parlement et dont la promulgation par le chef de l’Etat est attendue sera un grand bond vers des solutions pérennes encadrées par un environnement légal adéquat.
En effet, les pays développés ont compris le rôle essentiel du secteur de l’aménagement du territoire à l’instar de la France ou simplement de la Tunisie où des erreurs ne sont pas permises grâce un accompagnement conséquent de ce secteur gestionnaire de l’espace physique d’un pays.
La République Démocratique du Congo a fait son tout premier pas avec des innovations dans le secteur d’aménagement du territoire quand le président de la République Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo a jeté son dévolu sur Me Guy Loando Mboyo ; membre des gouvernements Sama 1 et 2 à la tête du ministère d’état de l’aménagement du territoire. À sa nomination, personne n’avait vu venir la touche magistrale de GLM qui a pris l’initiative de proposer la toute première loi sur l’aménagement du territoire depuis l’indépendance alors que ce domaine important n’était géré jusqu’alors que par des textes réglementaires.
Votée par le parlement et déjà transmise à la présidence de la République, la loi Loando est une aubaine pour ce secteur transversal qui devra aider les autres secteurs comme les infrastructures, l’urbanisme, l’habitat, l’environnement à rayonner de mille feux.
Cette loi , une première ; facilite la mise à jour et le renouvèlement du décret du 20 juin 1957 sur l’urbanisme dont l’anachronisme est prouvé face aux différentes mutations que connait le pays en terme d’organisation politique, administrative, territoriale …
La nouvelle loi établit des directives claires pour la centralisation des données provenant de diverses sources, ainsi que pour la réalisation d’études économiques, sociales, et environnementales.
Elle intègre trois principes directeurs à savoir le développement urbain équilibré et polycentrique pour engager de nouvelles relations ville-campagne, l’équité d’accès aux infrastructures et aux savoirs et la promotion du développement durable.
Avec la loi Loando, le pays sera en mesure de :
- Mieux coordonner les différentes politiques sectorielles qui affectent les territoires communautaires et résoudre les conflits liés à l’utilisation des terres.
- Promouvoir un développement territorial équilibré qui tienne pleinement compte de la valeur des écosystèmes forestiers en général, de la gestion durable des ressources naturelles et de la préservation des zones desservant les communautés vulnérables et défavorisées.
Elle introduit également plusieurs innovations basées sur la gouvernance communautaire des territoires, telles que :
La Participation de toutes les parties prenantes clés, y compris l’État, la société civile, le secteur privé, les groupes vulnérables, les femmes, les jeunes, les communautés locales et les peuples autochtones pygmées, à des consultations sur la définition des choix d’utilisation des terres avant l’attribution des terres aux niveaux provincial et local.
Elle lance de concepts comme les espaces fonctionnels et les corridors urbains proposant des cadres spatiaux appropriés pour le développement et la mise en œuvre de politiques de zonage et d’utilisation des sols. Ces concepts permettent également de renforcer les droits fonciers collectifs des peuples autochtones, qui sont désormais légalement reconnus par la RDC.
En tant qu’élite de ce coin (Sud₋Est) de la République, nous nous sentons interpellés par ces inondations monstres que connaissent le lac Tanganyika ;des milliers des familles qui ont érigés leurs maisons sur le littoral ouest ayant été obligés de les abandonner, la pirogue prenant la place des moyens de déplacement terrestres au Quartier Dav en plein chef-lieu de la province du Tanganyika par exemple.
Entre les années 2015 et 2017, des spécialistes ont proposé la construction d’une digue sur le littoral du lac à kalemie partant du port public de Kalemie au pont Lubuye passant par celui de la Lukuga pour maitriser la furie de ses eaux qui avancent sans se poser des questions.
Cette proposition avait semblé avoir un écho favorable dans l’opinion politique nationale ; mais face à la difficulté d’avoir une structure qui prenne le lead, tout a semblé piétiner. Projets devant par ailleurs mobiliser des millions des dollars, la construction de la digue, tout comme le dragage du port de kalemie ou la construction d’un port en eau profonde auraient été mieux encadrés par la loi sur l’aménagement du territoire de laquelle curieusement les intellectuels congolais obnubilés par le sensationnel ne font pas mention .
Il est urgent d’actionner ce levier qui permette à l’Etat de reprendre le contrôle de la situation dans ces zones qui ; comme tant d’autres à travers le pays sont exposées au risque de disparition. Oui, la mauvaise gestion de l’espace physique d’un territoire lui fait courir ce risque extrême que d’aucun ne pourrait souhaiter. Certes, ce phénomène dû au changement climatique fait peur. Et ses conséquences sont visibles partout.
La rivière Lukuga, seul exutoire du lac est débordée. Le débit a fortement augmenté que l’eau est monté presqu’à la hauteur du pont qui relie les deux rives de la ville de Kalemie ; elle qui, à ce jour demeure coupée en deux.
Le port de Moba dont les alertes avaient commencé à être émises depuis des années n’a plus de quai d’accostage. Tout est sous l’eau. Le chargement des bateaux à destination de Moliro en à environ 440km ou à Mpulungu en Zambie, Uvira dans le Sud-Kivu et Kalemie se fait à l’ancienne. Désormais les colis sont transportés à la tête ou mis dans des pirogues qui naviguent jusqu’à l’endroit où le bateau mouille dans l’eau pour le charger. Il en est de même pour les passagers qui courent ce risque énorme. Pendant ce temps, Moba port ; agglomération sur le flanc Nord₋Est de la ville est en train de perdre ses habitations dont les terrains ont été vendus aux occupants au mépris des normes.
L’Etat devra agir vite pour sauver ces populations en prenant des décisions courageuses :
- La mise en œuvre de la politique nationale d’aménagement du territoire par la production des plans urbains d’aménagement du territoire,
- La relocalisation des sinistrés sur des zones hautes par rapport au niveau de la mer sur lesquelles toutes les normes d’urbanisation devront être respectées,
- La reconstitution de la flore côtière par la mise à la terre de plantes pouvant soutenir le sol et créant ainsi un mécanisme de rétention de l’eau dans son lit naturel,
- La création d’une brigade d’officiers de police judiciaire pouvant connaitre des infractions d’ordre cadastral et environnemental,
- Le soutien aux activités de prévention par l’implémentation d’une communication adaptée contribuant au changement de comportement .
Il y a beaucoup d’autres actions qui nécessitent la mise en place d’une dynamique sérieuse de gestion et d’attribution de notre espace physique passant par le renforcement du leadership local.
Le gouvernement central doit ouvrir l’œil et le bon pour qu’en dépit des catastrophes naturelles récurrentes causées par les effets du changement climatique, nos populations n’en soient pas fortement affectées. La province du Tanganyika qui comprend le Rift Albertain et le lac Tanganyika hébergeant une faune et une flore riches et diversifiées devrait susciter notre émoi.
Croyant effectivement en l’écho que ma réflexion ferait au sein de la classe dirigeante de notre pays en général et de l’élite intellectuelle, je m’adresse ainsi à la nation en toute humilité pour que des vrais débats prennent enfin cours normal au sein de notre opinion.
Mandela LONGA/Contacts: +243 82 34 93 984 , mandelalonga@gmail.com